Révélation choc sur la recherche biomédicale : «Beaucoup de ce qui est publié est incorrect»

Le Dr Richard Horton, éditeur en chef de la revue médicale The Lancet / Wikimedia Commons (1)
Le Dr Richard Horton, éditeur en chef de la revue médicale The Lancet / Wikimedia Commons (a)

Cette révélation choc faite par le rédacteur en chef du journal médical le plus respecté au monde, The Lancet, a été à toutes fins pratiques ignorée par les médias traditionnels. (b)

***

Révélation choc sur la recherche biomédicale

Shocking Report from Medical Insiders
Parution originale en langue anglaise chez le journal-neo.org

Par F. William Engdahl
Le 18 juin 2015

Le Dr Richard Horton, qui est l’éditeur en chef de la revue The Lancet, a récemment publié une déclaration selon laquelle une quantité choquante de recherche publiée est, dans le meilleur des cas, peu fiable, et même complètement fausse – en d’autres termes: frauduleuse.

Le Dr Horton a déclaré:

«Une grande partie de la littérature scientifique, peut-être même la moitié, pourrait s’avérer être tout simplement fausse. La science a pris un virage vers l’obscurité; elle est souvent affectée par des études utilisant des échantillonnages réduits, par des résultats non-significatifs, des analyses d’expériences scientifiques invalides, et des conflits d’intérêts flagrants, tout ceci étant combiné avec une obsession pour la poursuite de tendances à la mode et d’une importance douteuse».

En d’autres mots, le Dr Horton affirme sans ambages que les grandes entreprises pharmaceutiques falsifient ou manipulent les tests effectués sur leurs divers médicaments, en ce qui concerne les effets sur la santé, la sécurité et l’efficacité en utilisant des échantillons trop petits pour être statistiquement significatifs, ou en employant des chercheurs scientifiques et des laboratoires qui sont en situation de conflits d’intérêts flagrants, tel que par exemple celui de plaire à la société pharmaceutique dans le but de pouvoir obtenir à l’avenir d’autres subventions. Au moins la moitié de tous ces essais n’ont aucune valeur. Comme ces médicaments ont un effet majeur sur la santé de millions de consommateurs, une telle manipulation constitue de la malversation et du délit criminel.

Les études financées par l’industrie pharmaceutique auquelles se réfère Horton, sont faites dans le but de développer des médicaments ou des vaccins commerciaux visant supposément à aider les personnes, et sont utilisées afin de former le personnel médical, d’éduquer les étudiants en médecine, et plus encore.

Le Dr. Horton a écrit ses commentaires chocs après avoir assisté à un symposium sur la reproductibilité et la fiabilité de la recherche biomédicale au Wellcome Trust de Londres. Il a rappelé l’obligation à la confidentialité – les règles de la «Chatham House» – qui interdit aux participants de mentionner les noms des personnes:

«Beaucoup de ce qui est publié est incorrect.» «Je ne suis pas autorisé à dire qui a fait cette remarque parce qu’il nous est demandé de respecter les règles de la Chatham House. On nous a également demandé de ne pas prendre des photographies des diapositives qui y ont été présentées ».

D’autres voix se font entendre

La Dre Marcia Angell est une femme médecin qui a été pendant plusieurs années la rédactrice en chef du New England Medical Journal (NEMJ), qui est considéré comme une autre des plus prestigieuses revues médicales révisées par des pairs dans le monde.

La Dre Angell a déclaré:

«Il n’est tout simplement plus possible de croire une grande partie de la recherche clinique qui est publiée, ni de se fier sur le jugement de médecins en position de confiance ou des recommendations émanant des autorités médicales. Être arrivé à cette conclusion est pour moi ce qu’il y a de plus déplaisant; j’y suis arrivé lentement et à contrecoeur au fur et à mesure de mes deux décennies à travailler comme rédacteur en chef du New England Journal of Medicine

De son côté, Harvey Marcovitch, qui a étudié et écrit au sujet de la corruption entourant la recherche médicale et la publication dans les revues médicales, écrit:

«des études montrant des résultats positifs pour un médicament ou d’un dispositif mis à l’étude sont plus susceptibles d’être publiés que des études « négatives »; les éditeurs sont partiellement à blâmer pour cela, car le sont aussi les sponsors commerciaux, pourqui les études menées avec une bonne méthodologie et aux résultats défavorables ont tendance à ne pas voir la lumière du jour …»

À l’Université de la Colombie-Britannique, le Dr Lucija Tomljenovic, du groupe de recherche Neural Dynamics dans le Département d’ophtalmologie et des sciences visuelles, a obtenu des documents qui montrent que:

«les fabricants de vaccins, les compagnies pharmaceutiques et les autorités de la santé étaient au courant des multiples dangers associés aux vaccins, et qu’en dépit de cela ils ont choisi de ne rien révéler au public. Ceci constitue de la fraude scientifique, et cette complicité suggère qu’une telle pratique continue jusqu’à ce jour

Et le Dr Horton, du Lancet Journal, de conclure:

«Ceux qui ont le pouvoir d’agir semblent penser que quelqu’un d’autre devrait agir en premier. Et, chaque action positive (par exemple, financer la réplique d’études) se bute à un contre-argument (la science deviendra moins créative). La bonne nouvelle, c’est que la science commence à prendre très au sérieux quelques-uns de ses pires défauts. La mauvaise nouvelle, c’est que personne n’est prêt à faire le premier pas afin de nettoyer le système.»

La corruption dans l’industrie médicale est un énorme problème qui affecte le monde entier, et qui est peut-être plus dangereux que la menace de toutes les guerres réunies. Sommes-nous tous à ce point hypnotisés et avons-nous une foi tellement aveugle envers nos médecins simplement en raison de leurs sarreaux blancs et que nous croyons qu’ils sont infaillibles? Et, de leur côté, les médecins ont-ils la même foi aveugle dans les revues médicales qui recommandent tel nouveau médicament miracle ou tel vaccin qui les font se précipiter pour donner des médicaments ou des vaccins sans tenir compte de ces profonds questionnements?

F. William Engdahl est consultant en risques stratégiques et conférencier, il est titulaire d’un diplôme en politique de l’Université de Princeton et est l’auteur de best-sellers.

Traduction de l’anglais et caractères gras ajoutés par S. Boisvert 

Informations supplémentaires

«Souvenons-nous que la plupart des laboratoires pharmaceutiques financent leurs propres études. Beaucoup, si ce n’est la plupart, de ces études finissent par devenir guère mieux que des outils de marketing, et ces médicaments sont étudiés puis enveloppés d’une apparence scientifique. Les chercheurs utilisent donc des pourcentages, et notamment ceux qui font paraître les résultats bien plus impressionnants qu’ils ne le sont en réalité.» (c)

Docteur Michel de Lorgeril (3/3) – Les Médicaments

«Toute l’histoire du cholestérol, elle est basée sur des études qui n’ont jamais été vérifiées par des observateurs, des experts libres et indépendants» – Dr de Lorgeril (d)

La Dre Marcia Angell dénonce la manipulation de la recherche clinique
et le contrôle de l’information médicale par l’industrie pharmaceutique

Pharmacritique
Le 8 septembre 2008

 Dre Marcia Angell / Wikimedia Commons
Dre Marcia Angell / Wikimedia Commons 

«Cet excellent texte de Marcia Angell  porte sur les multiples manipulations et mensonges qui décrédibilisent l’ensemble de la recherche médicale et les publications et pratiques cliniques qui en résultent. Le titre original est Industry-Sponsored Clinical Research. A Broken System (La recherche clinique financée par l’industrie: un système grippé). Ici comme ailleurs, Angell nous oblige à ouvrir les yeux et à nous interroger sur notre propre complicité (…)
Marcia Angell est professeure de médecine sociale à l’université de Harvard et ancienne rédactrice en chef du New England Journal of Medicine (NEJM). Elle a écrit plusieurs livres et de nombreux articles critiquant les dérapages des laboratoires pharmaceutiques. Son livre le plus connu est un réquisitoire parfaitement argumenté que tout le monde devrait lire: La Vérité sur les compagnies pharmaceutiques : Comment elles nous trompent et comment les contrecarrer (Ed. Le mieux être, 2005)]. – [Les intertitres et les mots entre parenthèses droites sont de Pharmacritique].»

« La recherche clinique financée par l’industrie: un système grippé »

Au cours des deux dernières décennies, l’industrie pharmaceutique a acquis un contrôle sans précédent sur l’évaluation de ses propres produits. Les firmes pharmaceutiques financent désormais la plupart des recherches cliniques sur les médicaments d’ordonnance. Et les preuves qui s’accumulent indiquent qu’elles falsifient fréquemment la recherche qu’elles sponsorisent, afin de faire paraître leurs médicaments plus efficaces et plus sûrs qu’ils ne le sont en réalité.

Deux récents articles soulignent le problème:

  • l’un a montré que de nombreux articles sur le rofécoxib [Vioxx] de Merck, qu’on pensait rédigés uniquement ou principalement par des investigateurs [médecins chercheurs] universitaires, avaient été écrits en fait par des employés de la firme ou des sociétés de communication médicale payées par elle [1];

  • l’autre a montré que Merck avait manipulé l’analyse des données dans deux essais cliniques, afin de minimiser les données indiquant que le rofécoxib augmentait la mortalité [2].

Les biais dans les modalités de diriger la recherche et d’en rendre compte ne sont pas rares et ne se limitent certainement pas à la firme Merck [3]. Les problèmes viennent moins du financement de la recherche en lui-même que des modalités de sa mise en pratique. Avant les années 80, les subventions accordées par l’industrie à des établissements universitaires pour financer des études menées par des universitaires laissaient ces derniers libres et responsables de l’étude du début jusqu’à la fin. L’investigateur concevait les études, analysait et interprétait les données, écrivait les articles et décidait où et comment il convenait de présenter les résultats. En général, ni les investigateurs ni leurs institutions n’avaient d’autres liens financiers avec les firmes sponsorisant la recherche.

[Les firmes pharmaceutiques ont désormais une mainmise totale sur la recherche et sur ses résultats]

Force est de constater que cela a changé ces dernières décennies. Les sponsors industriels se sont impliqués de plus en plus profondément dans tous les aspects de la recherche menée sur leurs produits, au point de concevoir eux-mêmes les études, d’effectuer l’analyse des données, d’écrire les articles, et enfin au point de décider de publier ou non les résultats. Et s’ils décident de les publier, alors ce sont eux qui déterminent quand et sous quelle forme.

Dans certains essais multicentriques, il arrive que les auteurs n’aient même pas accès à l’intégralité de leurs propres données. Le Pharmaceutical Research and Manufacturers of America [PhRMA, homologue de l’EFPIA européen et du LEEM français], syndicat de l’industrie pharmaceutique, justifie la rétention de données en disant que « les sponsors des études sont les propriétaires de la base de données et ont de ce fait un pouvoir discrétionnaire, y compris s’agissant d’autoriser ou non quelqu’un à y accéder » [4]. A l’autre extrême, les investigateurs sont réduits à n’être guère autre chose que de la main d’oeuvre embauchée pour fournir des patients et collecter les données en fonction du protocole établi par le sponsor.

[Pourquoi les institutions médicales cautionnent-elles ces dérapages de l’industrie pharmaceutique ?]

Plusieurs facteurs expliquent l’acceptation des nouvelles règles par les centres médicaux, et les raisons pour lesquelles ils tolèrent ces atteintes à leurs responsabilités traditionnelles. Le facteur le plus important est la pression concurrentielle existant depuis le développement d’une gigantesque industrie de la recherche, privée et à but lucratif, qui concurrence les centres médicaux dans l’obtention de contrats de recherche pharmaceutique. Ces entreprises privées, appelées SRC (sociétés de recherche sous contrat [NdT: contract research organisations ou CRO]), ont mis en place des réseaux de médecins qui fournissent les patients, et elles ne sont que trop heureuses de mener le travail selon les règles établies par les firmes pharmaceutiques, puisque celles-ci sont leurs uniques clients.

Les sponsors préféreraient quand même que la recherche clinique la plus importante soit menée dans des hôpitaux universitaires, et cette préférence s’explique en partie par le prestige conféré par ceux-ci. Dans ces conditions de concurrence pour l’obtention des contrats, les centres universitaires se sentent obligés d’accepter des règles autrefois impensables ; et il arrive même qu’ils collaborent avec des SRC pour mener à bien telle recherche.

[Conflits d’intérêts personnels des chercheurs, en plus de ceux institutionnels]

En plus des subventions pour effectuer tel essai clinique, les investigateurs universitaires ont désormais d’autres liens financiers avec les sponsors de leurs recherches. Ils reçoivent des paiements pour leurs activités de consultants et de membres des conseils consultatifs ainsi que des speakers’ bureaus [NdT: stock de conférenciers prêts à l’emploi] des firmes. Il n’est pas rare qu’ils possèdent des actions ou des titres de participation.

De tels conflits d’intérêts auraient été autrefois interdits par les centres médicaux, mais la donne a changé de ce côté-là aussi, puisque ces institutions ont désormais leurs propres liens financiers, souvent importants, avec l’industrie. De ce fait, elles ne sont guère en mesure de donner des leçons de morale à des universitaires qui font la même chose que la direction des institutions. Selon les résultats d’une récente revue d’ensemble, à peu près deux tiers des centres médicaux universitaires possèdent des actions des firmes pharmaceutiques qui financent la recherche dont ils sont chargés [5]. Et une étude portant sur les chefs de département dans les facultés de médecine montre que deux tiers d’entre eux reçoivent des revenus provenant des subventions des firmes à leurs département ; et trois cinquièmes parmi eux sont même payés à titre personnel par l’industrie pharmaceutique [6]. Et puis, les réglementations des conflits d’intérêts sont très différentes d’une faculté de médecine à une autre. La plupart sont permissives et il n’y a pas de véritable contrôle de leur mise en application.

[Le cas du psychiatre Alan Schatzberg, dénoncé par les politiques]

Récemment, le sénateur républicain Charles Grassley de la direction de la Commission sénatoriale des finances, a révélé que le Dr Alan Schatzberg, chef du département de psychiatrie de l’université de Stanford et président de l’Association américaine de psychiatrie (American Psychiatric Association), contrôlait un stock de plus de 6 millions de dollars de Corcept Therapeutics,. Schatzberg est par ailleurs l’un des co-fondateurs de cette firme qui cherche à obtenir l’homologation de la mifépristone [NdT: RU-486 ou Mifégyne en France] dans l’indication « dépression psychotique ».  A noter qu’Alan Schatzberg était en même temps le principal investigateur dans un essai clinique financé par le National Institute of Mental Health (NIMH : Institut national de santé mentale) et portant sur les usages de la mifépristone, y compris dans la « dépression psychotique ».

Dans un communiqué du 25 juin 2008, l’université de Stanford a déclaré qu’il n’y avait rien de répréhensible dans cet arrangement. Cependant, elle a cédé ses propres actions dans Corcept, « afin de correspondre à [sa] propre politique institutionnelle sur les conflits d’intérêt » [7]. Le communiqué précise aussi que Schatzberg « n’a pas été en position de responsabilité sur quelque aspect que ce soit dans cette recherche sur la mifépristone ». Cette déclaration ne manque pas de soulever des questions embarrassantes quant à ce que veut dire être investigateur principal dans un essai clinique subventionné et co-auteur des articles présentant les résultats. Un investigateur principal sans responsabilité… Le 31 juillet 2008, le directeur juridique de Stanford a notifié au NIMH que l’université remplaçait temporairement Schatzberg dans sa fonction d’investigateur principal de cet essai, et ce « afin d’éliminer tout malentendu ».

[Les résultats des essais cliniques sont tronqués ou réécrits – ou  passés sous silence s’ils sont négatifs]

Compte tenu des conflits d’intérêts qui imprègnent la démarche de recherche clinique, il n’est pas surprenant d’apprendre qu’il existe des preuves solides du fait que les résultats de la recherche sponsorisée par les firmes sont favorables aux médicaments des commanditaires. Cela s’explique d’une part par la non publication des résultats défavorables, et d’autre part par le fait que les résultats favorables font l’objet de publications répétées, sous forme à peine différente. Sans parler de la réécriture qui fait paraître sous un jour favorable même des résultats négatifs de la recherche sur un médicament. Ainsi, une étude qui s’est penchée sur 74 essais cliniques portant sur des antidépresseurs a montré que sur les 34 études rendant compte de résultats favorables, 33 ont été publiées. Il en va tout autrement des études défavorables aux antidépresseurs en question, puisque  33 sur 36 n’ont pas fait l’objet de publications – ou alors ont été publiées après un processus de réécriture qui en modifiait l’interprétation [8].

A noter que les mystifications les plus importantes ont été dévoilées non pas par la communauté médicale universitaire, mais par des enquêtes du Congrès ou lors de la discussion de la documentation des actions en justice intentées aux firmes.

Le cas de Glaxo Smith Kline est représentatif de cette entreprise de rétention de l’information scientifique. La firme a occulté les données montrant que la paroxétine [Deroxat / Seroxat / Paxil°] est inefficace mais non dénuée de nocivité chez les enfants et les adolescents. Selon un document interne obtenu par le Canadian Medical Association Journal, des dirigeants de la firme avaient décidé d’épurer les résultats négatifs contenus dans une étude en disant littéralement qu’ « il serait inacceptable du point de vue commercial de parler du fait que l’efficacité de la paroxétine n’a pas été démontrée, puisque cela saperait le profil global de la molécule » [9].

[Diverses modalités de manipulation des essais cliniques, depuis leur conception jusqu’à l’interprétation des données]

Quant aux études qui sont publiées, elles sont souvent biaisées; et le biais est présent habituellement dès la conception des études, conçues de façon à déboucher presque inévitablement sur des résultats favorables aux laboratoires qui financent la recherche. Il existe plusieurs possibilités de faire cela: par exemple, le médicament utilisé comme terme de comparaison peut être administré à une dose trop faible pour avoir l’effet recherché, ce qui donnera l’impression que la molécule du sponsor est plus efficace. Ou alors les investigateurs peuvent administrer une dose trop forte, ce qui aura pour résultat de produire plus d’effets secondaires que la molécule du sponsor.

D’autres manipulations sont possibles.

Par exemple, certains essais cliniques ne définissent pas d’avance l’hypothèse à démontrer, mais proposent des critères de jugement [end points] composites, de façon à pouvoir sélectionner l’issue la plus favorable parmi tous les résultats de l’essai. Et c’est cette issue qui sera érigée a posteriori en critère « primaire » de jugement[« primary » end point]. Il arrive aussi que seules des données partielles soient publiées, comme dans le cas du célécoxib [Celebrex°], où seules les données favorables de la première partie de l’essai CLASS ont fait l’objet d’une publication [10]. La manipulation de la recherche peut se faire aussi par la minimisation des effets indésirables d’un médicament, comme on l’a vu avec l’essai VIGOR sur le rofécoxib [Vioxx] [11]. Les résultats sont très souvent biaisés lorsque l’essai compare un médicament avec un placebo, en lieu et place d’une comparaison avec la médication standard, seule en mesure d’affirmer l’efficacité de la molécule étudiée.

[Les conflits d’intérêts des experts pervertissent les recommandations de bonne pratique et les décisions de l’agence du médicament]

Il n’y a pas que la recherche qui est biaisée par les conflits d’intérêts. Ceux-ci ont un impact néfaste aussi sur les recommandations [guidelines] de bonne pratique édictées par les instances professionnelles ou officielles, tout comme sur les décisions de la FDA [NdT: Food and Drug Administration: l’agence états-unienne du médicament]. Une étude qui s’est penchée sur 200 groupes d’experts ayant élaboré des recommandations de bonne pratique a mis en évidence le fait que plus d’un tiers des experts ont déclaré avoir des intérêts financiers plus ou moins importants dans l’avenir des médicaments qu’ils recommandaient [12]. On peut prendre pour exemple le groupe d’experts qui a recommandé de baisser drastiquement les valeurs dites « normales » de la lipoprotéine à basse densité [LDL cholestérol]: il s’agit du National Cholesterol Education Program, sponsorisé par les National Institutes of Health (NIH), avec le concours de l’American Heart Association et de l’American College of Cardiology. Il s’est avéré par la suite que 9 experts sur 10 avaient des liens financiers avec les firmes qui commercialisent des statines [13].

Sur les 170 experts qui ont contribué à la rédaction de la quatrième édition du DSM (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux), dont l’American Psychiatric Association a la charge, 95 avaient des liens financiers avec des laboratoires [14]; et c’était le cas de tous les experts qui ont élaboré les chapitres sur la schizophrénie et les troubles de l’humeur.

Mais l’indice probablement le plus significatif est le fait que beaucoup de membres des 16 commissions consultatives de la FDA en matière d’homologation des médicaments [commissions d’AMM : autorisation de mise sur le marché] ont eux aussi des liens financiers avec des laboratoires pharmaceutiques. Ces personnes sont censées se récuser et s’abstenir de prendre part aux décisions portant sur les médicaments fabriqués par les firmes avec lesquels ils ont des liens financiers. Et pourtant, la FDA contourne ces exigences en leur accordant fréquemment des dérogations.

[Le système entier est grippé et ne laisse subsister aucune source d’informations fiables]

Lorsqu’on  regarde toutes ces choses dans leur globalité, on se rend compte qu’il serait naïf de conclure que les conflits d’intérêts et les biais qu’ils induisent ne sont que le fait de quelques instances isolées. En réalité, ils imprègnent le système dans son ensemble. Les médecins ne peuvent plus compter sur la littérature médicale comme une source d’informations valides et fiables. C’est la conclusion que j’ai dû tirer, à contrecoeur, vers la fin de mes 20 ans à la tête de la rédaction du New England Journal of Medicine, et cette conclusion n’a fait que se renforcer depuis. Les cliniciens n’ont plus moyen de savoir quels sont l’efficacité et le profil de sécurité réels des médicaments qu’ils prescrivent, et il est fort probable que ces produits sont loin d’avoir les qualités que leurs prêtent les publications médicales.

[La relecture par les pairs et les fausses croyances induites par les revues à comités de lecture]

Les médecins insensibles aux publicités des firmes pharmaceutiques et aux tactiques des visiteurs médicaux ont tendance à faire confiance aux publications médicales à comité de lecture; or cette relecture par les pairs [peer-reviewed] n’est pas une garantie.

L’une des conséquences de l’omniprésence des biais dans cette littérature, c’est que les médecins apprennent à pratiquer une médecine qui fait un usage massif des médicaments. Même lorsque des changements du mode de vie seraient plus efficaces, médecins et patients croient trop souvent qu’il vaut mieux utiliser un médicament dans chaque situation inconfortable ou pour chaque bobo.

L’ensemble du système [de recherche et de publications médicales] pousse les médecins à croire que les médicaments de marque les plus récents et les plus chers seraient supérieurs aux molécules plus anciennes ou aux génériques. Et ce même si une telle supériorité n’est pas prouvée, puisque les laboratoires ne comparent que rarement leurs anciens médicaments avec les nouveaux – ou du moins pas à des doses équivalentes.

Une autre conséquence de l’état actuel de la littérature médicale est la propension à prescrire des médicaments dans des usages hors AMM [dans des indications autres que celles autorisées], sans preuves solides de l’efficacité d’un tel usage. Les firmes pharmaceutiques contournent souvent l’interdiction de la publicité hors AMM, puisque des leaders d’opinion membres des speakers’ bureaus des laboratoires font régulièrement la promotion de tels usages sous couvert de recherche ou de formation continue des médecins.

[Une réforme majeure et une évaluation indépendante de la recherche médicale sont indispensables]

Dans un éditorial [traduit par Pharmacritique dans cette note] accompagnant les deux articles du JAMA cités au début des références [1, 2], DeAngelis et Fontanarosa ont plaidé avec force pour une réforme majeure de la recherche médicale et de ses aspects connexes [3]. L’une de leurs propositions portait sur le financement de la recherche clinique, qui ne devrait pas être assuré uniquement ou principalement par les firmes pharmaceutiques.

Je suis tout à fait d’accord, et j’ai par ailleurs proposé que l’on mette en place dans le cadre des National Institutes of Health (NIH) un observatoire des essais cliniques portant sur les médicaments d’ordonnance. Les compétences de cet observatoire [Institute for Prescription Drug Trials] s’étendraient aussi aux essais avant commercialisation, dont les résultats sont actuellement soumis à la FDA en vue de l’autorisation de nouveaux médicaments [15]. La nécessité d’une telle instance est évidente, puisque l’absurdité de la filière actuelle saute aux yeux : qui peut sérieusement attendre des firmes commerciales dominées par des actionnaires de faire une évaluation objective et non biaisée de leurs propres produits? Et pourtant, beaucoup d’investigateurs universitaires ainsi que leurs institutions d’affiliation prétendent le contraire, parce que cela les arrange et qu’ils tirent profit de la situation actuelle. Ils réagissent de la sorte au lieu d’être les premiers à soutenir les efforts de réforme du système de la recherche clinique. C’est par eux que cette réforme devrait être portée, et non par l’Etat et par le droit. Parce qu’il s’agit d’une question qui ne relève pas des apparences ou des perceptions arbitraires, mais de la santé publique. »

Déclaration d’intérêts : la Dre Angell a reçu des royalties pour son livre « The Truth About the Drug Companies : How They Deceive Us and What to Do About It » [La vérité sur les firmes pharmaceutiques : comment elles nous trompent et comment les contrecarrer].

Notes et références

a. Svp lire cet AVIS
b. Offline: What is medicine’s 5 sigma? – document pdf, par Richard Horton, www.thelancet.com Vol 385 April 11, 2015
c. Le grand mythe du cholestérol, par Dr S. T. Sinatra et Dr J. Bowden, Éd. Édito, p.172
d. Extrait de la transcription de la vidéo: Michel de Lorgeril (3/3) – Les Médicaments
1. Ross JS, Hill KP, Egilman DS, Krumholz HM. Guest authorship and ghostwriting in publications related to rofecoxib: a case study of industry documents from rofecoxib litigation. JAMA. 2008;299(15):1800-1812.
2. Psaty BM, Kronmal RA. Reporting mortality findings in trials of rofecoxib for Alzheimer disease or cognitive impairment: a case study based on documents from rofecoxib litigation. JAMA. 2008;299(15):1813-1817.
3. DeAngelis CD, Fontanarosa PB. Impugning the integrity of medical science: the adverse effects of industry influence. JAMA. 2008;299(15) :1833-1835.
4. Steinbrook R. Gag clauses in clinical-trial agreements. N Engl J Med. 2005; 352(21):2160-2162.
5. Bekelman JE, Li Y, Gross CP. Scope and impact of financial conflicts of interest in biomedical research: a systematic review. JAMA. 2003;289(4):454-465.
6. Campbell EG, Weissman JS, Ehringhaus S, et al. Institutional academic-industry relationships. JAMA. 2007;298(15):1779-1786.
7. University statement on Senate Finance Committee investigation on conflicts of interest in medical research: June 25,2008. Stanford University. http://ucomm.stanford.edu/news/062508conflict_of_interest.pdf. Accessed July 2, 2008.
8. Turner EH, Matthews AM, Linardatos E, Tell RA, Rosenthal R. Selective publication of antidepressant trials and its influence on apparent efficacy.NEngl J Med. 2008;358(3):252-260.
9. Kondro W, Sibbald B. Drug company experts advised staff to withhold data about SSRI use in children.CMAJ. 2004;170(5):783.
10. Silverstein FE, Faich G, Goldstein JL, et al. Gastrointestinal toxicity with celecoxib vs nonsteroidal anti-inflammatory drugs for osteoarthritis and rheumatoid arthritis: the CLASS study: a randomized controlled trial. JAMA. 2000;284(10): 1247-1255.
11. Bombardier C, Laine L, Reicin A, et al. Comparison of upper gastrointestinal toxicity of rofecoxib and naproxen in patients with rheumatoid arthritis. N Engl J Med. 2000;343(21):1520-1528.
12. Taylor R, Giles J. Cash interests taint drug advice. Nature. 2005;437(7062): 1070-1071.
13. Tuller D. Seeking a fuller picture of statins. New York Times. July 20, 2004: D5.
14. Cosgrove L, Krimsky S, Vijayaraghaven M, Schneider L. Financial ties between DSM-IV panel members and the pharmaceutical industry. Psychother Psychosom. 2006;75(3):154-160.
15. Angell M. The Truth About the Drug Companies: How They Deceive Us and What to Do About It.New York, NY: Random House; 2004.

AVIS de non-responsabilité

DrBoisvert 2015
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